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Portrait de formateur

PowerPoint : ami ou ennemi pédagogique?

Françoise Crevier
PowerPoint : ami ou ennemi pédagogique?

Tout récemment, j’ai entendu la remarque: encore une formation avec 300 acéplates! Pourtant, elles sont souvent jolies les diapositives, alors quel est le problème?

A contrario, lors d’un cours fait sur mesure pour un client, aucun fichier PowerPoint n’a été produit.

Les participants ont travaillé intensément en équipe; ils ont été très sollicités et vraiment engagés dans l’action. Ils devaient faire, pendant le cours, ce qu’on a attend d’eux en milieu de travail.
► Cela leur a plu, car ils voyaient bien l’intérêt, la pertinence et surtout la plus-value de cette activité de formation. Le commentaire d’un participant est éloquent: pourquoi nos autres cours ne sont-ils pas tous faits de cette façon?  

Bonne question. Pourquoi s’acharne-t-on à faire des diapositives comme si c’était la panacée à tous les maux ? La réponse est assez simple finalement : parce que la plupart des cours sont conçus par des experts, pleins de bonnes intentions, mais n’ayant aucune expertise en andragogie (l’enseignement aux adultes),  ni même en pédagogie (les principes généraux de base).

De ce fait, leurs cours révèlent plusieurs lacunes. En voici quelques unes :

Lacune #1 : S’imaginer que toute explication claire engendre l’apprentissage

Ces experts croient sincèrement qu’un contenu clairement étayé suffit à engendrer la compréhension, l’intérêt et la rétention. Dans les années soixante, Jean Piaget a élaboré une théorie de l’apprentissage qui est maintenant confirmée par les neurosciences : les connaissances appartiennent à un cerveau donné et le formateur qui explique ne donne que des informations (et non des connaissances). Le cerveau du participant doit retravailler ces informations avec suffisamment d’effort et d’énergie pour les encoder et les inclure parmi ses propres connaissances. C’est grâce à de nouveaux liens biochimiques entre nos neurones que l’on peut ajouter de nouvelles connaissances; il faut faire tout un effort pour modifier des liens ou pour en créer de nouveaux.
► Pour apprendre, il faut manipuler les informations provenant des experts, les travailler, les confronter, les bousculer pour créer finalement nos propres connaissances.
Et ce n’est pas en écoutant un expert que cela va se produire… Les écoles de conduite l’ont bien compris: l’apprenant doit être installé au volant et responsable de ses actions et de ses décisions! On peut apprendre le code de la route dans un livre, mais pas à conduire.

Lacune #2 : Sélectionner les connaissances pertinentes

La sélection des connaissances est un autre point important. Quelles connaissances choisir? La plupart des experts réfléchissent autour de connaissances déclaratives (des notions, des concepts) alors que participants ont besoin de connaissances procédurales (pour réaliser des tâches) et de connaissances stratégiques (pour prendre des décisions).
► Autrement dit, le recul des experts sur leur contenu leur nuit et les amène à choisir des connaissances théoriques alors que les participants ont surtout besoin de connaissances opérationnelles.
On n’enseigne donc pas les bonnes connaissances. C’est un peu comme si j’avais besoin d’apprendre comment  calculer la surface d’un plancher et qu’on m’enseigne ce qu’est une surface!

Lacune #3 : Organiser les connaissances  

Dans la tête de l’expert, les connaissances sont organisées dans une perspective de « celui qui sait » et c’est souvent pour cette raison que leur première tentative d’organisation prend la forme d’une table des matières. Mais le chemin de celui qui sait n’est pas le chemin de celui qui apprend…
► Il faut donc organiser le contenu autrement et centrer ses choix sur la tâche à réaliser et sur les façons de prendre les meilleures décisions.

Lacune #4 : La quantité de connaissances

Et la quantité de connaissances abordées? Avez-vous déjà vu un cours qui manque de matière? Un cours qui laisse le temps de réfléchir, de discuter, d’évaluer, de se poser? Rarement un cours d’expert va offrir ce luxe.
►On en met des connaissances sans s’inquiéter de ce qui sera rejeté.
Savez-vous qu’en pareilles circonstances, le cerveau va forcément élaguer et que vous n’aurez aucun contrôle sur les connaissances qui vont s’installer et sur celles qui vont s’effacer! On va même souvent retenir une anecdote parce qu’elle est intéressante au détriment de telle connaissance jugée essentielle par l’expert. Plus on présente d’information, plus le risque est grand.

Lacune #5 : Choisir la posture pédagogique

La plupart des experts-formateurs ont été exposé à un unique modèle d’enseignement : les cours magistraux reçus à l’université. Ils adoptent donc cette posture transmissive et prônent un mode de transmission déductif : j’enseigne clairement et ensuite je propose des exercices. Malheureusement, une telle approche est tout à fait à l’opposé de ce qui stimule notre cerveau.
► Ce dernier aime résoudre des problèmes (ce qui est bien différent d’effectuer des exercices), apprécie d’être confronté à des défis et il adore découvrir par lui-même.

Lacune #6 :  La crainte des erreurs

Le formateur craint que les apprenants commettent des erreurs et il va tout faire pour éviter que cela se produise. Il va aller au-devant des pièges, il va prévenir les participants, il va baliser le chemin d’apprentissage pour éviter les écueils.
► Pourtant, les expériences en neurosciences montrent qu’on apprend beaucoup plus de nos erreurs que de nos réussites.
Et c’est normal, notre cerveau a été programmé de cette façon depuis la nuit des temps. En étant trop protecteur, le formateur réduit les occasions de découverte et nuit à l’apprentissage. Tant qu’il n’y a pas d’enjeux de santé et de sécurité, il faut laisser les participants vivre leurs erreurs.

Lacune #7 :  Le matériel pédagogique

Étant donné le choix préalable d’un mode transmissif, quoi de plus logique que de faire des diapos dans PowerPoint! Après tout, c’est tellement plus pratique et plus joli que de travailler au tableau, non? Connaissez-vous l’origine du nom PowerPoint? Un outil pour faire valoir son point, sa pensée avec puissance lors… d’une conférence! On est loin de l’apprentissage où le participant a des outils, des collègues et du temps pour construire ses connaissances.
► De mon point de vue, PowerPoint et ses amis (Prezi, KeyNote. etc.) sont des nuisances sérieuses à l’apprentissage. 
À cause d’eux, on étale l’information, on en met trop, et le participant n’a jamais le temps de travailler, de créer ses connaissances. N’oubliez pas : on ne peut pas écouter et réfléchir en même temps! Vous avez le choix…

Pour conclure

Enseigner ne signifie pas étayer de l’information, mais plutôt imaginer une situation complexe, un défi que les participants devront relever, de préférence en équipe, avec du temps de qualité pour construire des connaissances. Enseigner, c’est vraiment guider et laisser apprendre!

Et pour répondre à la question initiale : non, PowerPoint n’est pas mon ami pédagogique parce qu’il me positionne automatiquement en mode magistral et c’est une posture que je refuse d’adopter!

Pour aller plus loin :

Conception pédagogique : créer des formations engageantes et efficaces

 

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