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L’IA et l’industrie du e-learning

Françoise Crevier
L’IA et l’industrie du e-learning

Voici une anecdote vécue qui donne un petit frisson dans le dos. Il y a environ 2 mois, un abonné de LinkedIn raconte sa découverte. Grâce à une application d’IA, il a réussi à fabriquer une formation e-learning en moins de 20 minutes. Il a confié à l’IA son fichier PowerPoint et l’application a produit en un tour de main un fichier exécutable. Il conclut avec beaucoup d’enthousiasme que ce résultat impressionnant va lui faire économiser beaucoup de temps et d’argent... 

Bien sûr, l’IA est et va devenir un outil de plus en plus pertinent, mais pour le moment, vous comprendrez que je ne partage pas cet enthousiasme et ce, pour plusieurs raisons. 

La source d’inspiration de l’IA 

On le sait : pour répondre à nos demandes, l’IA s’alimente de toutes les productions disponibles sur le web. La machine apprend en analysant des tonnes de données, elle cherche des tendances parmi toutes les productions mises en ligne, des séquences et elle s’en inspire pour « créer » la nouvelle production demandée par l’utilisateur. Autrement dit, sa nourriture, c’est le contenu du web.  

Or, ce qu’on trouve sur le web est constitué de matériel gratuit, fabriqué parfois par des personnes n’ayant ni expérience ni expertise en production e-learning. Ce sont très souvent des réalisations de novices et, osons le dire :  

  • la pédagogie y est malmenée  
  • les résultats sont loin d’être convaincants.  

Et pour une très bonne raison : les productions faites par les professionnels du domaine ne sont pas disponibles pour l’IA. Si un producteur e-learning fabrique une formation de haute qualité pour un client, ce n’est pas pour la rendre disponible gratuitement à ses concurrents. Cette production va rester bien enfouie sur le réseau interne du client et l’IA ne la verra jamais. Pourquoi le client rendrait cette production disponible à tous, notamment à ses concurrents? 

Cela revient à dire qu’en matière d’e-learning, la machine a un bien piètre tuteur! 

La qualité du matériel de départ donné à l’IA 

De son côté, l’utilisateur d’IA dont on parlait plus haut a alimenté la machine avec une présentation PowerPoint résumant tout son contenu. Son approche est transmissive et les techniques pédagogiques sont faibles ; l’IA produira donc un e-learning transmissif avec un minimum d’interactivité médiatique. 

Et on ne parle même pas de l’interactivité pédagogique! Parce qu’il faut bien faire la nuance, pendant que l’interactivité médiatique intéresse et stimule, l’interactivité pédagogique fait réfléchir. Les deux formes doivent travailler ensemble pour un produit de qualité. 

L’évaluation de la qualité du rendu final 

Évidemment, le rendu final sera handicapé par ces deux facteurs :  

  • une machine qui a mal appris son métier  
  • une source de contenu sans doute fiable, mais d’approche transmissive.  

Le plus triste est sans doute le fait que l’utilisateur de l’IA sera incapable de porter un jugement critique sur sa production, et ce pour trois raisons.  

  1. Comme il va retrouver l’essentiel des connaissances de son fichier d’origine, cela va le rassurer et sembler efficace à ses yeux.  
  2. Son jugement risque d’être biaisé par le gain de temps qui sera certainement impressionnant.  
  3. N’ayant jamais été lui-même en contact avec une production e-learning de qualité, il en ignore les critères d’évaluation.  

On touche ici un point névralgique. La plupart des clients sont incapables, en matière d’e-learning, de reconnaître la qualité n’ayant pas de repères fiables sur lesquels s’appuyer. Ils ne savent pas distinguer une production e-learning qui informe et une production qui forme! Pour les novices, « informer c’est former » alors qu’on sait très bien que l’apprentissage est beaucoup plus complexe et plus exigeant1! 

Une compétition saine pour les producteurs d’e-learning? 

Selon les chiffres recueillis dans le milieu par Chapman Alliance2, il faut environ 200 à 350 heures de travail pour produire une heure d’e-learning3. Cela varie beaucoup selon le niveau d’interactivité souhaité par le client. Plus l’interactivité est riche, plus l’apprenant s’investit, plus il apprend, mais plus c’est complexe à produire. 

Imaginons un coût horaire d’entreprise à 100 $, ce qui n’est certes pas exagéré, on se retrouve avec un déboursé de 20 à 35 k$ pour une production de qualité d’une heure. Mais si le client ne sait pas évaluer la qualité, comment les producteurs pourront-ils rivaliser avec l’IA qui prendra 20 minutes, le plus souvent gratuitement?  

J’avoue que ce n’est guère encourageant vu sous cet angle. Ça va être difficile de maintenir en vie une production d’e-learning de qualité dans un tel contexte. Il reste quelques solutions. 

  • Sensibiliser les clients à l’importance de choisir des formations de qualité si on souhaite avoir des résultats observables et durables; 
  • Aider les clients à distinguer « activité d’Information » et « activité d’apprentissage »; 
  • Apprendre à l’IA à travailler correctement. 

Dans tous les cas, il y a du travail à faire si on ne veut pas se bercer d’illusions et s’imaginer que nos participants apprennent alors qu’ils ne font que cliquer sur le bouton « Suivant ». Un cerveau en état de streaming n’apprend pas… 

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Photo de Wes Hicks sur Unsplash

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