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Développer les compétences... tout un programme

France Lefebvre, CRHA, CCC
Développer les compétences... tout un programme

Si on pouvait développer les compétences de nos gens en quelques heures et sans que ça coute trop cher… Rêvons! 

Le propos de ce texte est de démystifier comment élaborer un plan de développement individuel. Toutefois, avant de se lancer sur cette voie, il y a une notion fondamentale au plan de développement, particulièrement galvaudée, qui se doit d’être explicitée : il s’agit de la notion de « compétence ». 

Compétence, vraiment? 

Une revue non exhaustive de la littérature démontre clairement que ce mot est utilisé en synonyme de connaissance, de tâche, d’habileté, d’expérience, de capacité, de talent, etc. 

Pourtant, un chercheur hautement respecté, qui fait autorité dans de multiples secteurs de la vie économique et sociale, s’est penché longuement sur le sujet. Guy Le Boterf, Docteur d’État en sciences humaines et docteur en sociologie, et professeur associé à l’Université de Sherbrooke a énoncé une définition de la compétence qui fait consensus dans les milieux qui s’intéressent au sujet. 

 

Guy Le Boterf (source Babelio)

(image Babelio)

Une compétence est un savoir-agir complexe qui permet à une personne de réaliser un produit de qualité ou un service dans un contexte donné qu’on appelle « famille de situations ».

Pour ce faire, la personne puise dans ses ressources internes ou externes. À l’externe, elle peut se fier sur les réseaux d’experts, la littérature scientifique et les banques de données. À l’interne, elle s’appuie sur son propre bagage cognitif : ses savoirs (qui peuvent être des connaissances déclaratives, stratégiques, procédurales ou factuelles), ses savoir-faire (qui sont des habiletés cognitives, métacognitives, psychologiques, psychomotrices) et ses savoir-être (qui sont des habiletés relationnelles ou émotionnelles).

 

Il faut préciser aussi que pendant que la personne exerce sa compétence, elle doit jongler avec toutes ses ressources pour sélectionner celles qui sont pertinentes, les mettre en action, les combiner et les agencer afin de démontrer ce savoir-agir.

Guy Le Boterf

Ce qui est important de retenir dans cette définition, c’est qu’une compétence, c’est un savoir-agir. Ainsi, une personne « compétente » dans un domaine x, y ou z, est compétente uniquement lorsqu’elle est en action. 

Pour illustrer ce dernier paragraphe qui vient, sans doute, chambouler diverses croyances, prenons le violoniste Alexandre Da Costa. Si vous écoutez, sur YouTube, la vidéo d'Alexandre Da Costa - Apertura « Lo spettacolo deve andare Avanti » (par exemple), vous pouvez sentir l’émotion.

Les notes qu’il tire de son violon donnent le frisson. C’est, selon moi, un moment de grâce. Le virtuose est au sommet. Maestro Da Costa est clairement compétent en violon lorsqu’il a enregistré cette vidéo. Imaginons qu’un soir, lors d’un concert, il est enrhumé, il a un mal de tête, il ne se sent pas bien. Sa prestation s’en ressent, il n’est pas au sommet. Est-il compétent? Beaucoup moins! Pourquoi? Parce que pendant ce concert, son état de santé ne lui a pas permis d’aller fouiller dans sa banque de ressources pour en extraire les savoirs, savoir-faire et savoir-être qui font de lui le grand violoniste reconnu mondialement. 

Par ailleurs, quand M. Da Costa fait son épicerie, il est peut-être très compétent à choisir la plus magnifique pièce de boeuf de l’étal, mais il n’est pas compétent en violon! 

Quand cet employeur affirme que Jacinthe a été embauchée pour ses compétences en finance, il ne s’exprime pas correctement. Il devrait dire qu’il a embauché Jacinthe parce qu’elle a de solides connaissances en finance et qu’en plus son expérience s’apparente à la réalité de son entreprise. Par ailleurs, Jacinthe ne sera jamais compétente en finance à 100% de son temps. Lorsque, par exemple, elle anime une réunion d’équipe, elle n’est pas compétente en finances car elle n’utilise pas ses savoirs, savoir-faire et savoir-être dans ce domaine. En revanche, lorsqu’elle retournera à la préparation des prévisions budgétaires, alors là elle sera compétente car elle ira puiser dans ses savoir, savoir-faire et savoir-être les ressources dont elle a besoin pour produire les budgets dont elle a la charge. 

Quand on sait que ça prend entre 5 000 et 10 000 heures pour développer une compétence, on s’entend qu’on n’en développe pas 25 dans une carrière!  

Ce long détour m’amène à présenter la pierre d’assise du plan de développement, soit le profil de compétences. Comment créer un plan de développement qui assure que la personne travaillera sur ses vrais besoins, ceux qui lui permettront de s’améliorer ou de se préparer pour un autre poste, tout en répondant aux besoins de l’organisation ? 

Le profil de compétences 

Un profil de compétences devrait être composé de 5 ou 6 compétences. Pas plus! Une compétence est complexe, elle combine et agence plusieurs ressources (savoirs, savoir-faire et savoir-être). Elle n’a pas d’échéance.  

Ces compétences sont ensuite éclatées en tâches qui, elles, sont plus spécifiques. Elles ont un début et une fin. 

Le dernier élément à prévoir dans le profil du poste concerne les exigences du poste, c’est-à-dire le niveau requis pour être pleinement efficient dans chacune des tâches. Il pourrait s’agir d’une échelle de 1 (débutant) à 4 (expert). Par exemple, prenons le poste de directrice des finances, occupé par Jacinthe, dans une PME. 

Profil de compétences : Directeur ou directrice des finances 

Compétences 

Tâches 

Niveaux d’exigence 

Encadrer la préparation des rapports financiers de l’organisation 

1. Préparer les états financiers, les rapports d’analyse de rentabilité et les états récapitulatifs. 

2. Coordonner le processus de planification financière et de budget. 

Gérer le personnel 

1. Recruter les candidat·es. 

2. Intégrer les nouvelles personnes. 

3. Former le personnel. 

4. Évaluer le travail du personnel. 

Une fois cet exercice complété, Jacinthe et la DG, sa patronne, ont pris le temps de discuter du niveau de maitrise de Jacinthe pour chacune des tâches du profil de compétences. Elles en sont arrivées à la conclusion que Jacinthe a besoin de s’améliorer au niveau de la formation du personnel. En effet, une personne de l’équipe prendra sa retraite dans l’année qui vient, et une autre partira en congé de maternité pour au moins douze mois. Jacinthe aura donc à former les remplaçant·es, ce qu’elle n’a pas eu à faire dans ses emplois précédents. Elle a donc besoin d’apprendre sur le sujet. 

Maintenant que Jacinthe et sa directrice savent ce sur quoi Jacinthe doit se développer, il faut définir le modus operandi. 

Le plan de développement : le modèle 70-20-10 

Ce modèle ne semble pas avoir des assises scientifiques très solides : il aurait été développé à partir d’une étude de chercheurs du Center for Creative Leadership dans les années 1980, étude portant sur environ 200 cadres et leurs pratiques d’apprentissages en milieu professionnel. Il n’en demeure pas moins qu’il est utilisé dans de multiples organisations sur la planète, probablement parce qu’il est plein de bon sens. 

Le modèle explique la façon dont les employé·es apprennent, soit : 

  • 70 % de l’apprentissage en milieu professionnel serait issu des expériences, 
  • 20 % viendrait des interactions avec les collègues, 
  • 10% serait le fruit des formations structurées classiques et des lectures. 

Considérons ces pourcentages très précis plutôt comme des tendances, il est tout de même manifeste qu’environ 90% des apprentissages se font dans l’informel. 

Et pourtant, tant de plans de développement individuels se limitent à une liste de formations et de lectures à faire dans un certain laps de temps. 

Ces formations sont d’autant plus utiles et justifiées, si elles sont soutenues par des activités qui permettent d’échanger et de mettre en pratique. C’est cette combinaison qui donne tout son potentiel au plan de formation. 

Que faire pour que Jacinthe apprenne à former son personnel adéquatement? 

Jacinthe a besoin de connaissances de base. Elle pourrait suivre une formation sur l’apprentissage des adultes, comment développer une formation, etc. Une fois ces connaissances acquises, Jacinthe pourrait bénéficier du coaching d’une ressource externe qui l’accompagnerait dans l’élaboration de ses contenus de formation. Finalement, elle pourrait tester ses contenus avec son équipe actuelle afin de se pratiquer à animer des formations. 

Le développement des gens, c’est l’affaire de tous 

Trop souvent, les gestionnaires se sentent dépourvu·es quand vient le temps de trouver des projets qui vont permettre aux gens d’acquérir diverses expériences. Bien sûr, si ces gestionnaires se contentent de ce qui se passe dans leur environnement proche, les limites apparaitront rapidement. 

Une bonne pratique pourrait être de tenir des séances de repêchage quelques fois par année : d’un côté, les besoins de développement du personnel, de l’autre, les projets en cours et à venir dans l’organisation, incluant les besoins en ressources. Le bassin de potentiels s’agrandit et offre ainsi beaucoup plus d’opportunités de se développer. 

Par ailleurs, accueillir un·e collègue dans son équipe pour un projet, une tâche, un comité, c’est se donner la chance de se faire connaitre tout en soutenant le développement professionnel de cette personne. L’employé·e se développe, les équipes s’améliorent. En fait, c’est toute l’organisation qui en sort gagnante. 

Pour aller plus loin :

Développement des compétences : évaluer les besoins et élaborer un plan

 

Photo de Conor Samuel sur Unsplash

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